Mouhameth Galaye Ndiaye, directeur de l’Institut Al-Mihrab à Bruxelles, auteur de l’ouvrage intitulé « Ousmane Sonko, symbole de lutte et de libération ».
Près de neuf mois après la fin du régime de Macky Sall et l’accession au pouvoir du parti Pastef, suite aux élections législatives qui ont suscité l’intérêt de nombreux observateurs et analystes politiques, et considérées comme la phase finale pour se débarrasser de ce que les Sénégalais appellent communément « le système », il est nécessaire de faire une pause sur notre passé récent, c’est-à-dire entre 2021 et 2024, afin de l’analyser et de décrypter certains de ses codes et réalités. Cela nous permettra de prendre du recul et de mesurer ce qui s’est réellement passé dans ce pays, le Sénégal.
Ce qui s’est passé était-il une véritable révolution, un simple processus de transition du pouvoir habituel, ou quelque chose d’autre ? Une fois la réalité comprise, nous pourrons aborder un autre aspect crucial : une lecture prospective et analytique de l’avenir, aussi bien à court qu’à long terme.
Pour répondre à cette question fondamentale, il convient de souligner que le peuple sénégalais a vécu, durant cette période difficile, un événement historique sans précédent dans son histoire politique récente. En second lieu, ce qui s’est passé n’est qu’un moment d’illumination, non pas parce qu’un régime a été renversé ou qu’un président a été destitué, mais parce que la jeunesse sénégalaise a pris le contrôle et est entrée dans l’histoire par la grande porte, après une longue absence imposée par les gouvernements précédents. La réalité de ce qui s’est passé, c’est que la jeunesse, et non tout le peuple, a pris la décision d’assumer ses responsabilités et de retirer au régime de Macky Sall ce qui lui revenait de droit : la légitimité politique. De même, la jeunesse a décidé de prendre les choses en main, de s’engager dans son destin et de choisir son avenir. Elle est descendue en masse dans les rues, souvent de manière spontanée, pour manifester contre la corruption, l’injustice, la pauvreté et le chômage. Ce fut la première étape de la bataille, c’est-à-dire le véritable moment de la révolution qui a permis au parti Pastef d’accéder au pouvoir. Il est important de comprendre que chaque révolution a ses propres qualités, caractéristiques, faits et trajectoires, et qu’en matière de terminologie, il n’y a pas de divergence possible.
Concernant l’étape actuelle, les jeunes, représentés par le « duo Diomaye-Sonko », ont entamé une nouvelle ère en rompant avec le « système hérité », qui s’est révélé incapable et a échoué lamentablement sur tous les plans. La principale préoccupation de ce nouveau régime est de dynamiser le pays, en le propulsant vers des perspectives de progrès et de prospérité économique. Il convient également de souligner qu’une grande partie du peuple, notamment la jeunesse, est désormais plus consciente de son avenir prometteur et plus mature politiquement que l’élite politique du système déchu. Cette élite persistait à croire qu’elle avait toujours le contrôle sur le peuple et qu’elle détenait tous les leviers pour continuer à vivre à ses dépens, en suçant son sang comme elle en avait l’habitude depuis que le Sénégal a obtenu sa prétendue indépendance en 1960.
Sur la base de ce qui précède, nous pouvons affirmer – avec une certaine réserve – que l’étoile du système hérité a disparu sans retour, et qu’une nouvelle configuration de l’élite politique sénégalaise a déjà commencé à se former grâce à la victoire du parti Pastef et à son accession au pouvoir. Il ne fait aucun doute que la génération qui a soutenu Pastef et l’a porté au pouvoir est une génération très consciente de son avenir et de sa renaissance. De plus, elle est consciente des ressources précieuses et de la richesse qu’elle possède, et qui peuvent contribuer positivement à son avenir. Ainsi, elle peut transformer le pays de son état misérable et déplorable en une nation bien meilleure, s’alignant sur certains pays du Golfe en termes de progrès économique et de bien-être de leurs populations, notamment en matière de revenus et d’opportunités d’emploi.
Il est intéressant de noter que, près d’une décennie auparavant, cette génération avait compris, avec le leader de Pastef, Ousmane Sonko, l’opportunité unique qu’il fallait saisir à tout prix. Ce que l’on remarque aujourd’hui, à travers les médias, notamment sur les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement la détermination et la volonté de cette jeunesse à rompre définitivement avec le modèle du système politique hérité, mais aussi son souci majeur de préserver le projet de changement pour lequel elle s’est battue et a voté. Par conséquent, elle critique ouvertement certaines des positions et décisions du gouvernement. Il s’agit d’une génération mature, consciente, capable d’interagir avec la réalité politique sénégalaise de manière rationnelle et éclairée. Tout cela indique le début de l’émergence d’un nouveau printemps au Sénégal, et ses traits sont déjà perceptibles à l’horizon. Nous espérons sincèrement qu’il sera plus radieux dans la mentalité de ses porteurs que celui connu dans certains pays arabes au cours de la dernière décennie.
En effet, le Sénégal traverse actuellement un tournant historico-politique exceptionnel. Ce moment marque l’émergence d’une génération différente, plus mûre, consciente de sa responsabilité historique, prête à risquer pour son avenir et à sacrifier sa vie pour le développement, la renaissance et l’accès à la modernité. Il convient de souligner qu’Ousmane Sonko est un homme politique aguerri, qui a su réveiller le peuple sénégalais de sa torpeur et lui faire entrevoir son avenir immédiat, à savoir la prospérité, le bien-être et le développement au sens véritable du terme. En fait, le rêve que Sonko a vendu au peuple sénégalais, notamment à la jeunesse, est l’axe fondateur de ce changement de paradigme.
Je n’ai aucun doute que le contexte exceptionnel que traverse le peuple sénégalais en ce moment me rend la tâche difficile, en tant qu’intellectuel vivant dans la diaspora, de digérer tous ses indicateurs, ses questionnements, ses implications, ses conséquences et ses espoirs. Il faut donc, de mon point de vue, un certain temps pour assimiler ce nouveau paradigme. Dans mon ouvrage intitulé « Ousmane Sonko, symbole de lutte et de libération », j’ai proposé la création d’un atelier scientifique afin d’examiner ce qui s’est passé et se passe actuellement au Sénégal.
Suite à la révolution menée par M. Ousmane Sonko et le parti Pastef, qui ont permis aux Sénégalais de revenir sur la bonne voie démocratique, la stabilité a progressivement pris le relais sur le terrain, marquant une part significative du paysage politique. Suite à toutes ces considérations, il est impératif d’anticiper les événements. Nous devons donc modifier la nature du débat politique pour inaugurer une nouvelle ère, permettant l’entrée des grands penseurs sénégalais, à l’intérieur et dans la diaspora, dans un dialogue constructif et dialectique autour de la Vision 2050. Le débat doit désormais s’articuler autour de questions réelles et sérieuses : dans quelle mesure cette vision est-elle réalisable ? Est-elle réaliste et sérieuse dans son ambition de changer le visage et la destinée du Sénégal ? Quelles sont les priorités urgentes en politique intérieure et étrangère ? Quel rôle le Sénégal doit-il jouer dans le dialogue civilisationnel entre le Nord et le Sud, en raison de la rupture opérée par le parti Pastef, qui a pris les rênes du pouvoir ?
Le Sénégal, en raison de sa position géographique, stratégique et historique, dispose des compétences nécessaires pour mener ce dialogue. C’est un pays frontalier de l’Amérique, de l’autre côté de l’océan Atlantique, proche de l’Occident européen en termes d’influence dans l’application et la mise en œuvre du modèle démocratique réussi sur le continent africain, tout comme l’Orient en ce qui concerne les valeurs islamiques communes. Ce n’est pas un dialogue politique, mais un dialogue civilisationnel entre le Nord et le Sud, en particulier concernant les questions d’émancipation sociale et les valeurs que certains pays du Nord tentent d’imposer aux pays du Sud. Ce dialogue interne est crucial pour permettre au gouvernement actuel de réexaminer certaines options et convictions politiques et stratégiques, tout en évitant de tomber dans une impasse qui serait risquée. À ce stade du dialogue, il est crucial d’éviter des sujets délicats et sensibles, tels que le statut de la Casamance, les milices installées dans ses banlieues, ainsi que toute question liée à la sécurité nationale susceptible de déstabiliser l’État ou de provoquer une division et une fragmentation sociologique.
Le défi majeur pour le système actuel est de repérer les véritables problématiques et de ne pas se perdre dans les détails. Les peuples développés se distinguent par leur capacité à dépasser les détails lorsqu’il s’agit d’intérêts généraux. En somme, il est impératif que le gouvernement détermine ses priorités et mette en place une stratégie précise pour les atteindre.
Nous osons espérer que le dialogue se concentrera sur ces questions, car si l’élite intellectuelle ne prend pas en main la Vision 2050 dès le début de ce mandat de cinq ans, le Sénégal pourrait subir de lourdes pertes. Cette révolution, qui a laissé derrière elle douleur, sang et sacrifices, pourrait avorter si les objectifs ne sont pas atteints. Le pire scénario serait un affrontement avec des forces obscurantistes, notamment « l’État profond », qui, comme nous le savons, œuvre depuis l’arrivée de Pastef au pouvoir pour déstabiliser l’État en le plongeant dans une spirale de conflits internes aux conséquences inquiétantes. Tout cela pour détourner le gouvernement afin qu’il échoue à réaliser tous les espoirs placés sur ses épaules. Par conséquent, nous sommes conscients que le Sénégal traverse un tournant historique, où le rythme des événements se trouve aux prises entre le courant de la réforme et celui du système hérité qui rend son dernier souffle. Que la période à venir soit une période de dialogue serein pour réviser et encadrer – comme nous l’avons laissé entendre – l’avenir politique, économique et culturel du Sénégal. C’est une opportunité inestimable que le ciel a offerte au peuple de ce pays, lui permettant de prendre les choses en main. Tous les pays ayant subi de telles révolutions ont vu « l’État profond » être activé pour en entraver le succès, l’Égypte, entre autres, étant un exemple éclatant.
Le régime actuel, en cette période difficile, est confronté à trois défis majeurs. Le premier est de poursuivre et punir les criminels de l’ancien régime pour les événements tragiques entre 2021 et 2024, où plus de 80 personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées et mutilées. Le deuxième défi est de récupérer les fonds publics détournés par les traîtres et de les restituer à l’État. Ces deux défis doivent être relevés de manière rationnelle, dans un esprit de justice sociale, sans tomber dans la vengeance ou l’instrumentalisation politique.
Le troisième défi concerne la Vision 2050 : il serait impardonnable que le « duo Diomaye-Sonko » échoue à générer le boom économique tant espéré, notamment pour les jeunes, en créant des opportunités d’emploi et en développant des infrastructures à tous les niveaux, notamment en dotant le Sénégal d’une façade moderne et rayonnante. Le Sénégal doit, en effet, devenir un modèle pour l’Afrique en matière de développement économique et de démocratie. Cette façade incarne le développement économique et une démocratie dynamique, garantissant la liberté d’expression ainsi que l’égalité devant la loi pour tous les citoyens. Elle ne doit pas être une façade qui applique deux poids, deux mesures, comme c’était le cas sous le régime autoritaire de Macky Sall.
En effet, dans le contexte actuel, les Sénégalais espèrent que ce nouveau gouvernement réussira à créer une véritable rupture avec les époques antérieures. Sinon, ils s’y opposeront et ne feront aucune compromission ni acte de courtoisie à son égard. Cela s’explique par le fait que la révolution a coûté du sang, engendré des martyrs, des handicapés, des malades gravement affectés sur le plan psychologique, etc. Ils ne laisseront pas tout cela sombrer dans l’oubli. Le pouvoir en place doit prendre conscience qu’il existe ce qu’on appelle « le temps politique », un temps pour les stratégies tactiques de parti, et un autre, celui du travail, « un temps d’action ». Il nous paraît évident que le temps du travail, intense et acharné, ainsi que de l’affirmation de soi, a sonné. Dans ce cadre, il est impératif de nous concentrer dès maintenant sur la Vision 2050 et de nous engager dans une course effrénée pour en concrétiser une grande partie avant la fin de ce premier mandat. Sinon, des tensions pourraient survenir sur le plan politique. En effet, dans deux ou trois ans, il sera nécessaire de permettre l’émergence de nouvelles figures politiques sur l’échiquier, ce qui risquerait de perturber et de polluer l’atmosphère, ce qui ne sera bien sûr pas dans l’intérêt du parti au pouvoir, Pastef. Il est donc évident que la redéfinition de la cartographie politique est inévitable, car chaque nouveau régime porte en lui les germes de son opposition. Il n’est pas surprenant que de nombreux analystes prédisent que l’opposition qui naîtra pour affronter Pastef viendra de ses propres rangs. C’est une loi de la nature, et celle-ci, comme nous le savons, a horreur du vide. Pastef doit en tenir compte.
Mouhameth Galaye Ndiaye, directeur de l’Institut Al-Mihrab à Bruxelles, auteur de « Ousmane Sonko, symbole de lutte et de libération ».