Par Abdou Lahad Gueye.
Étudiant chercheur à l’université Cheikh Anta Diop.
« Ô vous qui avez cru ! Repentez-vous devant Allah d’un repentir sincère. Il se peut que votre Seigneur vous efface vos mauvaises actions et vous fasse entrer dans des jardins sous lesquels coulent les rivières… »
Sourate At-Tahrim (66:8) :

S’il y est un aspect qui se dégage à la lecture des écrits de l’érudit Cheikh Ahmadou Bamba, c’est bien la crainte révérencielle ainsi que ses diverses expressions spirituelles. Dans ce cadre, la repentance et l’imploration du pardon divin occupent une place prépondérante dans son œuvre poétique. Ces thématiques centrales dans la tradition soufie, témoignent d’une prise de conscience par le croyant de ses imperfections pour se tourner vers le bon Dieu dans un élan de purification spirituelle.
Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), figure majeure de l’histoire du Sénégal, est à la fois un écrivain prolifique, un maître soufi et un résistant spirituel. Fondateur du mouridisme et de la ville sainte de Touba, il a légué une œuvre littéraire d’une richesse exceptionnelle, où la quête de perfection spirituelle occupe une place essentielle. Ses écrits, composés principalement sous forme de qasîdas (poèmes) en arabe, abordent divers aspects de la foi musulmane, dont la repentance et l’imploration du pardon divin.
Nombreux sont ses écrits qui, de manière directe ou circonstanciée, traitent de la repentance. Nous en avons retenu trois pour illustrer, d’une part, l’importance qu’il accordait à cet acte d’adoration et, d’autre part, la méthode particulière qu’il employait pour l’exprimer : Astagfiroullah Bihi, At-Tawbatun-Nassouh et Tuhfatul Awwah (tahmîs). Ces derniers se distinguent de par la profondeur du message, la richesse stylistique et la pédagogie exceptionnelle.
Cependant, avant d’analyser ces qasidas, il convient de marquer un temps d’arrêt sur deux points essentiels. D’abord, parler de la repentance dans les écrits du Cheikh nous amène inévitablement à une réflexion sur son importance et sa place dans l’islam. Étant donné que son œuvre est fortement imprégnée des enseignements islamiques, étudier cette thématique requiert une analyse approfondie de sa pertinence dans la tradition musulmane. Ensuite, comme nous l’avons évoqué précédemment, un constat s’impose : la présence prolifique de la repentance et de l’imploration du pardon divin dans l’œuvre du Cheikh.
Ainsi, notre démarche s’articulera autour de ce triptyque : l’importance de la repentance et de l’imploration du pardon divin dans l’islam (1), la présence prolifique de cette thématique dans les écrits du Cheikh (2), l’analyse de sa méthode particulière à travers l’étude des trois qasîdas sélectionnés(3).
1- La repentance et l’imploration du pardon divin dans l’islam : une pratique central.
La repentance (At-Tawbah) occupe une place centrale dans l’Islam. Elle représente un retour sincère du croyant vers Allah après avoir commis une faute ou un péché. L’Islam enseigne que la porte de la miséricorde divine est toujours ouverte et qu’Allah aime ceux qui se repentent. Le Coran et la Sunnah soulignent l’importance du repentir. Allah dit dans le Coran : « Et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le succès. » (Sourate An-Nour, 24:31).
Le Coran associe la repentance à l’imploration du pardon divin
Le Prophète psl a également dit : « Par Allah ! Je demande pardon à Allah et me repens à Lui plus de soixante-dix fois par jour. » (Rapporté par Al-Bukhari).
La jurisprudence synthétise les conditions d’acceptation de la repentance, lesquelles sont tirées des versets ainsi que des hadiths et se déclinent comme suit :
• la Sincérité (Ikhlâs) : Le repentir doit être fait uniquement pour plaire à Allah ;
• le regret du péché : Le croyant doit éprouver un profond remords pour son acte ;
• l’abandon du péché : Il doit immédiatement cesser de commettre le péché ;
• .la ferme intention de ne pas récidiver : Le repentant doit avoir la résolution sincère de ne plus retomber dans la faute ;
• la réparation du tort (si nécessaire) : Si le péché concerne autrui (vol, injustice…), il faut restituer les droits et demander pardon à ce dernier.
Le Coran nous assure qu’Allah accepte toujours le repentir sincère, peu importe la gravité du péché : »Dis : ‘Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux.' »(Sourate Az-Zoumar, 39:53). Les oulémas n’ont pas manqué à souligner les biens fait que recèle la repentance. En effet la pratique de la repentance purifie l’âme et rapproche d’Allah, transforme les péchés passés en bonnes actions si la repentance est sincère (Sourate Al-Furqan, 25:70), apporte la paix intérieure et la bénédiction divine.
2- La repentance dans l’œuvre de cheikh Ahmadou Bamba : une thématique omniprésente
Comme nous l’avons souligné en introduction, les poèmes de Cheikh Ahmadou Bamba sont profondément empreints de spiritualité. La crainte révérencielle y occupe une place centrale, se manifestant sous diverses formes, notamment à travers la thématique de la repentance (tawba). Ce thème est si fondamental dans son œuvre qu’il lui a consacré des poèmes entiers. Cependant, au-delà des qasîdas spécifiquement dédiés au repentir, Cheikh Ahmadou Bamba a également disséminé des vers d’imploration du pardon divin dans des poèmes traitant d’autres sujets.
La place primordiale de la repentance se manifeste d’abord par l’existence de poèmes exclusivement consacrés à ce thème. Trois qasîdas, objets de notre analyse, illustrent cette focalisation : At-Tawbatun-Nassouh (Le repentir sincère), Astagfiroullah Bihi (Je demande pardon à Allah), Tuhfatul Awwah fi Tahmîs Astagfiroullah (Le Joyau du repentant dans le quintuple « Je demande pardon à Allah »). Dans ces œuvres, Cheikh Ahmadou Bamba exprime une repentance sincère et insiste sur l’importance du retour vers Allah. À travers une poésie empreinte de ferveur et de soumission, il exhorte les croyants à reconnaître leurs fautes et à solliciter la miséricorde divine.
En plus des qasîdas entièrement consacrés à la repentance, Cheikh Ahmadou Bamba a intégré de nombreux passages d’imploration du pardon divin dans des poèmes traitant d’autres sujets. Cette omniprésence témoigne de l’ancrage profond de la tawba dans sa spiritualité.
Un exemple frappant se trouve dans Assîru Mahal Abrâr, un poème dans lequel il relate le périple de sa déportation. Malgré le contexte narratif, il insère des vers de repentance, illustrant ainsi que le retour vers Allah est une démarche permanente, quel que soit le moment ou la situation : « Je me suis repenti à Toi aujourd’hui, accepte donc mon repentir, Et accorde-moi Ton pardon, je me suis tourné vers Ton Livre. »
Dans Ataba lil Mamarâ, il formule également une prière de repentance sous une forme particulière : « Je me suis repenti à Toi aujourd’hui, accepte donc mon repentir, Et accorde-moi Ton pardon, je me suis tourné vers Ton Livre. » De même, dans Walaqad Wassaynâ, il implore le pardon divin non seulement pour lui-même, mais aussi pour ses parents : « Qu’Il me pardonne, ainsi qu’à mes parents, à tous, Et qu’Il accepte nos efforts. »
3- La pédagogie de la repentance dans la démarche du cheikh : une analyse des trois qasîdas
L’analyse des écrits de Cheikh Ahmadou Bamba sur la repentance ne saurait être complète sans une étude approfondie des qasîdas qui y sont consacrées. Dans cette partie, nous nous attarderons d’abord sur la présentation des trois poèmes avant d’en dégager la portée pédagogique et spirituelle.
La qasida « Tuhfat al-Awah fi Takhmis Astaghfirullah » est une œuvre poétique soufi de Cheikh Ahmadou Bamba qui exprime le repentir et une quête ardente du pardon divin. Le poème est rempli d’aveux sincères et d’un profond désir de retour vers Dieu, utilisant le style du takhmis (le quintile : une strophe de cinq vers utilisée dans des formes poétiques fixes) pour développer des idées et des émotions. Il porte un message spirituel puissant sur l’importance du repentir et de la demande de pardon, rappelant que Dieu est Pardonneur et Miséricordieux, acceptant toujours le repentir de Ses serviteurs.
Le poème ASTAGHFIROULLAHA BIHI, quant à lui, est une prière de repentir et de retour à Allah, incluant une demande de pardon et de clémence pour les péchés et les fautes, qu’ils soient petits ou grands, apparents ou cachés. Le poème reflète un état de regret et de supplication à Allah, avec une demande de succès dans la science, l’action, la morale et la compréhension. Le poème exprime un état psychologique profond de regret et de repentir, avec une demande de pardon et de clémence à Allah. Le poète montre une conscience des dangers des péchés et de la nécessité de s’en repentir, tout en manifestant un désir fort d’acquérir une science bénéfique et de faire de bonnes actions. Le poème est rempli de prières et de supplications à Allah, ce qui reflète une profonde foi et un désir de se rapprocher d’Allah.
Enfin, At tawbatou’nassouha s’inscrit dans la même logique d’expression de la repentance et d’imploration du pardon divin. Au-delà de cet aspect le cheikh utilise cette pratique comme formule d’incantation suppliant le seigneur d’exaucer ses vœux à travers le tawbat et l’istighfar.
En examinant ces trois qasîdas, un fil conducteur se dessine : Cheikh Ahmadou Bamba ne se contente pas d’exprimer son propre repentir ; il enseigne à travers ses vers une véritable pédagogie de la tawba. On peut dégager quatre grandes recommandations pédagogiques issues de son approche :
• L’infini pardon divin : L’homme, quelles que soient l’ampleur de ses fautes et de ses péchés, trouve toujours la porte du repentir ouverte, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
• L’encouragement constant au repentir : il ne faut jamais cesser de se repentir car la tawba est pilier de la vie spirituelle. La répétition de l’imploration au pardon est un aveu de conscience spirituelle.
• Il ne faut jamais minimiser les péchés, qu’ils soient petits ou grands, et il est essentiel de prendre conscience de leur gravité.
• Le repentir et l’imploration du pardon doivent être adoptés comme un moyen d’invocation et de rapprochement d’Allah.
À la lumière de notre analyse, il ressort avec évidence que la repentance occupe une place centrale dans l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. Cette importance s’explique d’abord par son enracinement profond dans la tradition islamique, où elle est considérée comme une pratique essentielle au cheminement spirituel.
L’étude des qasîdas que nous avons examinéess a révélé que la thématique du repentir traverse l’ensemble de l’œuvre du Cheikh. Elle se manifeste aussi bien à travers des poèmes qui lui sont entièrement consacrés qu’à travers des vers insérés dans des textes traitant d’autres sujets. Cette omniprésence témoigne non seulement de la conscience aiguë du Cheikh quant à l’importance du pardon divin, mais aussi de sa volonté d’en faire un élément fondamental de son enseignement spirituel.
Ainsi, à travers ses écrits, Cheikh Ahmadou Bamba nous rappelle que la tawba n’est pas seulement un acte de regret, mais une voie de purification et d’élévation, une invitation constante au retour vers Allah et à la quête de Sa miséricorde.