Mamour Dramé
Traducteur-Chercheur
Collaborateur de Timbuktu Institute-African Center For Peace Studies
Vendredi 22 Janvier 2021, un an aujourd’hui, le Sénégal perdait un grand homme, Serigne Atou Diagne. Le Sénégal est un pays où la pratique soufie est très présente. Le sénégalais musulman est souvent adepte à une organisation confrérique. Et cela se manifeste dans presque toutes les circonstances de sa vie. La communauté soufie représente environ 93% de la population musulmane du Sénégal, avec quatre principales confréries, à savoir les layènes ; les quadres ; les tidjanes et enfin les mourides. Chacun de ces ordres soufis se démarquent par des pratiques et modes de gestions spécifiques. C’est ainsi que nous trouvons le dahira Moustarchidines wal moustarchidates chez les tidjanes, mais aussi le dahira Hizbou Tarquiyyah chez les mourides. Et sur ce dernier, c’est-à-dire le Hizbou Tarquiyyah, le décès de Serigne Atou m’avait poussé à réfléchir.
Dans ce texte qui rend hommage à un vaillant fils du Sénégal, je compte soulever des aspects identitaires apercevables dans la démarche de la communauté hizbou. Il sera question aussi de mettre en lumière leurs contributions dans le domaine éducatif, avant de montrer en quoi cette organisation sociale constitue un repère auquel l’état peut se situer pour reconsidérer les facteurs de la bonne marche de ce pays qui s’est buté aujourd’hui contre une grave situation de déchéance morale.
ATOUT IDENTITAIRE
Tout d’abord, il faut voir dans la communauté hizbou un atout Identitaire ; car ayant pris forme dans un contexte où l’africain tendait à adopter des idéologies exogènesm telles que le Marxisme, qui ne rhymaient même pas avec ses réalités socioculturelles. C’est en pleine guerre d’idéologie donc que Djeuwrigne Atou Diagne s’est démarqué pour trouver dans la philosophie de Cheikh Ahmadou Bamba son repère, avec lui des étudiants qui se comptaient alors par les doigts, puis par des centaines, et aujourd’hui par des milliers. Ce fut en 1976 à Dakar, à l’épicentre des tendances idéologiques de l’époque : l’université Cheikh Anta Diop.
Ensuite, il convient de souligner que les hizbous sont des promoteurs de l’expertise locale. En effet, es ambassadeurs du mouridisme s’affichent partout avec leurs vêtements Baye Lat, ces boubous qui renvoient aux habitudes vestimentaires de Serigne Abdou Lahad, parfois appelé Baye Lat, qui d’ailleurs a guidé les premiers pas du dahira avec sa bénédiction et ses orientations. Ce sont des tenues collectionnées et vendus ici au Sénégal. Ils portent aussi ce que l’on appelle makhtoum . Ainsi, à travers leurs accoutrements, ils soutiennent l’acticité de jeunes tailleurs, artisans ou vendeurs d’éléments de l’esthétique mouride.
APPORT ÉDUCATIF
Le mouvement Hizbut Tarquiyyah contribue à l’éducation des jeunes d’une manière très effective en mettant en érigeant des temples de savoirs. Par le biais de ces établissements, ils enseignent le Coran, les sciences islamiques, où s’inscrit une bonne partie des écrits de Serigne Touba, ainsi que le programme officiel du ministère de l’éducation. Et à travers les dahiras, cette organisation a aidé des milliers d’adultes à acquérir les connaissances de base qui demeurent nécessaires pour un musulman. Et la positivité de ces efforts se manifeste beaucoup plus au niveau de la diaspora où les jeunes sont directement exposés aux tentations. L’institut international d’études et de recherche sur le mouridisme (IIREM), tout comme la maison des khassidas, en cours de construction, viennent redorer l’image que reflète l’aspect éducatif de la Communauté hizbou. Et sur le plan médiatique, ils travaillent aussi à éduquer et conserver le patrimoine mouride pour les générations futures. Ce qui corrobore avec la vision « futuriste » de Serigne Atou Diagne.
Entre l’anticipation d’un lendemain meilleur, et un passé mystique pas forcément vécu, si ce n’est à travers les écris de Khadimour-Rassoul, les hizbous vivent également l’instant présent ; d’où la modernité qui escorte le train de leurs réalisations.
MODÈLE D’INTÉGRATION SOCIORELIGIEUSE
Pour autant, les hizbous, pour la plupart, sont des produits du « système » scolaire et académique de la nation. Mais ils ont réussi à marier, là aussi grâce à Serigne Atou, les enseignements de Serigne Touba aux connaissances reçues à l’école. Ce qui fait d’eux, aussi diplômé soient-ils, des sénégalais dans leur appartenance, des adeptes d’une confrérie soufie purement africaine dans leur méthode de pratiquer l’Islam.
Souvent cadres, donc jouissant d’une assise financière pouvant leur permettre de s’offrir une vie de luxe, les ‘’Hizbous’’ comme on les surnomme chez nous, ne dépensent que pour le Khdima, c’est-à-dire pour le service de la Communauté Mouride spécifiquement, pour l’humanité généralement. Ils se veulent ainsi disciples du Cheikh, patriotes du Sénégal et citoyens du monde.
CONCLUSION
La communauté Hizbut-tarquiyya est un modèle de développement, mais aussi d’intégration, tant sur le plan religieux que sur le plan social. Ses membres font mine de conscience citoyenne et ouverture au monde. Ils incarnent ainsi ce modèle de sénégalais qui sait contribuer à tout ce qui fait bouger le monde tout en restant ancré à son identité, et d’africain qui ‘’croit fermement que l’homme noir peut s’inscrire pleinement dans la marche des idées et l’intelligence parfaite des réalités d’un monde changeant sans être ni passif ni imitateur, mais en véritable acteur de changement’’, comme disait Dr Bakary Samb dans son hommage rendu à cette figure du Mouridisme.
La nation devrait s’en inspirer pour concevoir un autre système d’état et mettre en place un modèle d’éducation centré sur la vision et la philosophie de notre patrimoine culturel et religieux. Ce serait non seulement une alternative à cette crise de valeur qui touche notre nation jusqu’au plus haute de ses institutions, mais aussi un déclic pour enfin réunir les premiers ingrédients d’un vrai projet de société.