
Par Abdoul Ahad Al-Kadiory
Président du comité scientifique du mouvement MODDAP
⸻
Introduction
Le 13 mars 2024, le député Amadou Bâ, du parti Pastef, a présenté une proposition de loi d’amnistie comprenant cinq articles, visant à accorder une amnistie générale pour les infractions à motivation politique commises entre le 1ᵉʳ février 2021 et le 25 février 2024, aussi bien sur le territoire sénégalais qu’à l’étranger.
Ce projet de loi nécessite une analyse rigoureuse afin d’évaluer sa conformité avec la Constitution sénégalaise et d’anticiper son impact sur le paysage politique du pays.
⸻
- Analyse constitutionnelle
L’amnistie est un outil juridique couramment utilisé pour atténuer les tensions politiques et sociales. Toutefois, pour être conforme aux principes constitutionnels, une loi d’amnistie doit respecter certaines exigences fondamentales, notamment :
• Préservation des droits des victimes : L’article 3 du projet de loi précise que l’amnistie ne porte pas atteinte aux droits des victimes en matière de réparation. Cette disposition s’aligne avec les principes constitutionnels garantissant la protection des droits individuels.
• Exclusion des crimes graves : Une amnistie ne doit en aucun cas couvrir les crimes les plus graves, tels que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, au risque de violer les engagements internationaux du Sénégal en matière de droits de l’homme.
• Respect du principe de séparation des pouvoirs : L’application de l’amnistie doit être neutre, sans interférer avec l’indépendance du pouvoir judiciaire, afin d’éviter qu’elle ne devienne un instrument d’ingérence dans le fonctionnement de la justice.
L’analyse des principales dispositions de cette loi, ainsi que les explications fournies par son initiateur, le député Amadou Bâ, révèlent qu’une annulation totale de la loi d’amnistie poserait des risques juridiques majeurs, notamment l’impossibilité de poursuivre certains crimes liés aux événements concernés.
Dès lors, il devient impératif d’adopter un amendement à cette loi, garantissant un équilibre entre la justice et la protection des victimes, tout en préservant la stabilité sociale du Sénégal, après les tragiques événements qui ont secoué ce pays habituellement pacifique.
⸻
- Analyse politique
Cette proposition de loi intervient dans un contexte politique délicat, marqué par des manifestations et des tensions. Politiquement, elle peut être perçue de deux manières opposées :
• Un instrument de réconciliation nationale : Cette loi pourrait être interprétée comme une mesure d’apaisement, visant à favoriser l’unité nationale en dépassant les conflits antérieurs. Elle pourrait également freiner l’escalade des tensions provoquée par certains opposants au parti au pouvoir, notamment des analystes politiques et des membres de la société civile, qui contestent aujourd’hui cette loi, alors qu’ils l’avaient soutenue auparavant. Ce revirement semble davantage dicté par des calculs politiques que par une réelle volonté d’analyser objectivement les enjeux du texte.
• Le risque de renforcer l’impunité : À l’inverse, une amnistie inconditionnelle pourrait consolider une culture d’impunité, notamment en protégeant des individus impliqués dans de graves violations des droits humains, telles que des homicides, des détentions arbitraires, des actes de torture et des enlèvements. Toutefois, en modifiant le texte voté par le Parlement précédent, en excluant ces crimes spécifiques du champ de l’amnistie, cette loi pourrait répondre aux attentes de la population sénégalaise, en particulier des victimes des violences ayant marqué cette période cruciale.
⸻
Conclusion
La proposition de loi interprétative de la Loi d’amnistie représente une opportunité majeure pour gérer les tensions politiques au Sénégal. Cependant, sa mise en œuvre doit se faire avec précaution, en veillant à garantir :
- Le respect de la Constitution
- La protection des droits des victimes
- L’équilibre entre justice et réconciliation nationale
- La préservation de la confiance des citoyens dans l’État de droit
C’est ce qu’a souligné son initiateur, Amadou Bâ, du parti Pastef, lors de son intervention sur la chaîne TFM, malgré les tentatives répétées de le déstabiliser et de le discréditer.
En fin de compte, ce débat offre une leçon précieuse en droit et en politique. Il illustre l’importance d’un engagement sincère en faveur de la réforme, fondé sur la science, le patriotisme et le dévouement, afin de construire un Sénégal plus juste et plus démocratique.